Récemment, le ministre Benoit Charette a déposé le projet de loi 81, qui vise à modifier plusieurs lois en lien avec l’environnement. L’une des dispositions phares de ce projet est l’obligation pour les concessionnaires de véhicules lourds de vendre un certain pourcentage de véhicules zéro émission (VZE). Selon ce que j’en comprends, les ventes des concessionnaires seront analysées sur une période de trois ans. À terme, ils devront accumuler des crédits en vendant des véhicules zéro émission pour compenser la vente de camions à carburants fossiles.
Mais est-ce une bonne nouvelle ? Une surprise ? Et surtout, est-ce la bonne stratégie ? Explorons ces questions ensemble.
Le transport lourd est responsable de plus de 45 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au transport au Québec. Cette contribution importante nécessite une action immédiate et efficace. L’industrie du camionnage est consciente de son rôle et se montre prête à collaborer. Lors des événements où nous échangeons avec des transporteurs, leur curiosité pour les nouvelles technologies et leur volonté d’adopter des solutions pour réduire leur empreinte carbone sont palpables.
Cependant, le secteur doit naviguer dans un environnement complexe, souvent appelé le "Messy Middle", où les solutions de transition énergétique restent floues et en évolution (voir mon article précédent pour plus de détails).
Le transport est une industrie résiliente mais constamment mise à l’épreuve. En tant que maillon essentiel de l’économie, elle fait face à des défis de taille :
En discutant avec un transporteur spécialisé dans la livraison de gypse, il m’expliquait que, jadis, un seul camion pouvait effectuer quatre livraisons par jour. Aujourd’hui, en raison des contraintes des chantiers qui demandent des livraisons avant 8 h, il lui faut presque quatre camions pour les mêmes tâches. Ce type de surcharge opérationnelle est courant dans l’industrie et accentue les défis logistiques.
Le projet de loi 81 impose aux concessionnaires du Québec de vendre un pourcentage croissant de véhicules zéro émission. Cette initiative s’aligne sur les normes de l’Environmental Protection Agency (EPA), qui visent directement les manufacturiers en restreignant les émissions des véhicules. Ces normes obligeront également les fabricants à vendre des véhicules zéro émission pour accumuler des crédits carbones.
Ce n’est donc pas une surprise, mais une progression logique et cohérente. À titre de comparaison, rappelons qu’en octobre 2021, il n’était plus possible d’immatriculer un autobus scolaire autre que 100 % électrique au Québec. Cette transition brutale de 0 % à 100 % a laissé l’industrie du transport scolaire fragilisée. Le projet de loi 81 semble heureusement mieux conçu, avec une approche plus graduelle, ce que nous saluons.
Malheureusement, les projets de loi et programmes de subventions ignorent souvent le potentiel du gaz naturel, en particulier le gaz naturel renouvelable (GNR). Pourtant, cette technologie est une solution viable et immédiatement disponible pour réduire les émissions de GES de manière significative.
Le problème réside dans la méthodologie utilisée pour calculer les émissions. Les analyses actuelles ne tiennent pas toujours compte du cycle complet, du puits à la roue. Par exemple, le GNR est produit à partir de déchets ou de biomasse qui émettraient des GES s’ils n’étaient pas valorisés. Ce modèle s’apparente à un système de crédits : on compense des émissions en évitant d’en produire ailleurs.
Dans un contexte où les véhicules électriques manquent encore d’autonomie pour répondre aux besoins de la majorité des transporteurs et où l’hydrogène en est à ses balbutiements, le gaz naturel pourrait jouer un rôle de solution transitoire efficace et sécuritaire. Exclure cette option serait regrettable, car elle pourrait accélérer notre progression vers les objectifs climatiques.
Nous croyons fermement que l’avenir du transport sera multi-énergétique. Chaque solution a ses forces :
Il est crucial de choisir le bon véhicule pour le bon besoin, tout en tirant parti de chaque énergie de manière optimale.
Le projet de loi 81 est une avancée prometteuse pour décarboniser le secteur du transport. Cependant, pour maximiser son impact, il est important d’adopter une approche globale :
1. Analyser les opérations pour proposer des recommandations adaptées :2. Exploiter la télématique pour suivre les résultats et identifier les opportunités d’amélioration.
3. Inclure le gaz naturel dans la liste des véhicules admissibles, avec des exigences élevées pour l’utilisation de GNR.
4. Collaborer avec l’industrie pour comprendre ses besoins, ses contraintes, et construire des solutions basées sur les données plutôt que sur des impressions.L’industrie du transport est prête à relever ces défis. Il appartient désormais au gouvernement de fournir un cadre réaliste, basé sur des données probantes, pour soutenir cette transition essentielle.